Spinoza et la Kabbale

Élie Benamozegh


Dans cet essai de 1863 depuis longtemps indisponible, Élie Benamozegh, le rabbin kabbaliste de Livourne, révélait au public francophone le secret des véritables sources métaphysiques de Spinoza : la Kabbale.

La chose ne fut jamais ignorée des hébraïsants. Salomon Maïmon, cet autre évadé de la Synagogue, notait déjà dans son autobiographie : « Je lisais Spinoza. Sa pensée profonde et son amour de la vérité me plaisaient excessivement, et dans la mesure où son système m'avait déjà été suggéré par les écrits cabbalistiques, je recommençais de le méditer, et devins si convaincu de sa vérité, que tous les efforts de Mendelssohn pour me faire changer d'opinion furent vains. » Il va même jusqu'à affirmer que « la Cabbale n'est rien d'autre qu'un spinozisme généralisé ».

La démonstration par Élie Benamozegh des sources de Spinoza s'appuie sur l'analyse de déclarations explicites de ce dernier. Ces indications sont pourtant généralement ignorées ou incomprises des historiens de la philosophie, car leur intelligence nécessite la connaissance de la culture indigène de Spinoza, le judaïsme rabbinique.

Mais le rabbin de Livourne ne s'arrête pas à cette contribution historique. Il pénètre dans la conceptualité des deux systèmes, la kabbale et le spinozisme, pour expliquer et approfondir l'un par l'autre. Il soulève une difficulté majeure au cœur du spinozisme, celui de la place de l'Idée de Dieu.

Cette longue disquisition comme il l'appelle, technique et serrée, fera comprendre le malentendu qu'il y a à vouloir verser Spinoza à l'histoire du matérialisme, ou à l'adopter comme consolateur du désastre du marxisme.

Spinoza et la Kabbale

Parution : 02/08/2020

65 pages

14x21,6 cm

ISBN 979-8668256921

9,99€

Tous nos livres se trouvent facilement en ligne. Cependant, en les commandant chez votre libraire, vous économisez les frais de port et vous soutenez des lieux d'intellectualité vivante et indépendante.

Extraits

L'aveu de Spinoza

C'est à la seconde partie de l'Éthique, à la scholie de la proposition VII, que Spinoza, après avoir répété son idée mère que la substance pensante et la substance étendue ne font qu'une seule et même substance, que de même un mode de l'étendue et l'idée de ce mode ne font qu'une seule et même chose exprimée de deux manières, ajoute : « C'est ce qui parait avoir été aperçu comme à travers un nuage par quelques Hébreux qui soutiennent que Dieu, l'intelligence de Dieu et les choses qu'elle conçoit, ne font qu'un. »

M. Saisset parait ne pas douter qu'il soit fait ici allusion aux doctrines kabbalistiques. Nous sommes du même avis que lui ; seulement quelques doutes étaient permis, et il aurait pu habilement les résoudre et les éclaircir.

La confusion fatale

Ici, nous touchons presque du doigt le point de divergence où Spinoza, en se détachant de la doctrine ésotérique des quelques Hébreux, se lance à l'aventure au gré de sa raison individuelle ; et en faisant un faux pas, en confondant deux choses que cette doctrine avait toujours distinguées, il glissa et fit glisser son système dans un véritable panthéisme, et attestant par sa chute que la différence entre Spinoza et la Kabbale, c'est la différence même entre la Kabbale et le panthéisme, différence qui apparait ici dans toute sa lumière.

Car, si les kabbalistes donnèrent à la Binah, au Sippur (récit kabbalistique) les caractères de l'étendue, ce n'est pas dans le sens propre et naturel, qu'on le sache bien, mais seulement dans le sens purement métaphorique, afin d'exprimer l'objet intellectuel, la chose logique, en un mot, la matière idéale, par les mêmes qualités qui constituent la matière corporelle, la véritable étendue.

La séparation définitive

Un mot encore sur le but de ce travail. Nous avons vu Spinoza se rapprocher presque en tout de ses devanciers, les Kabbalistes ; en tout, hors d'un seul point, où un abîme les sépare, et c'est là précisément où Spinoza place l'Étendue dans sa première triade en Dieu lui-même, où, par un complet renversement de la série kabbalistique, il met l'Idéalité en bas et la Réalité en haut ; où, par un déplacement singulier, l'Étendue occupe la place que devait occuper l'Idée de l'Étendue.

Nous avons déjà relevé cette profonde divergence ; son importance ne saurait être assez appréciée, car elle n'est rien moins que la ligne, et quelle ligne ! qui sépare la Kabbale à tout jamais du Panthéisme.

À propos de l'auteur

Élie Benamozegh (1823-1900) était rabbin de la communauté juive de Livourne en Italie. Philosophe, kabbaliste et théologien, il fut l'un des penseurs juifs les plus originaux du XIXe siècle. Né à Livourne de parents marocains, il reçut une éducation traditionnelle tout en s'ouvrant à la culture européenne moderne.

Auteur prolifique, Benamozegh écrivit en hébreu, italien et français. Ses œuvres principales incluent Israël et l'Humanité, La Morale juive et la morale chrétienne, et de nombreux commentaires bibliques et talmudiques. Il cherchait à démontrer l'universalité du judaïsme et sa compatibilité avec la philosophie moderne, tout en défendant l'authenticité et la valeur de la tradition kabbalistique.

Figure isolée mais respectée, Benamozegh resta toute sa vie à Livourne, refusant des postes plus prestigieux pour rester fidèle à sa communauté. Sa pensée, longtemps négligée, connaît aujourd'hui un regain d'intérêt pour sa vision prophétique du dialogue entre tradition et modernité, et pour son approche universaliste du judaïsme.