« Le poisson vit dans l'eau, la plante dans la terre
L'oiseau dans le ciel, le soleil au firmament
La salamandre devait prendre naissance dans le feu
Et Jacob Boehme trouve dans le Cœur de Dieu son élément. »
— ANGELUS SILESIUS
Jacob Boehme doit être reconnu comme l'un des plus grands gnostiques chrétiens. J'emploie ce mot non dans le sens des hérésies des premiers siècles du christianisme mais bien pour désigner un savoir fondé sur la révélation et utilisant plutôt des mythes et des symboles que des concepts : c'est un savoir contemplatif bien plus que discursif. Telle est la philosophie religieuse ou théosophie.
Rien ne caractérise mieux Boehme que sa grande simplicité de cœur et sa pureté d'âme toute enfantine. On comprend par là qu'il pouvait s'écrier au moment de mourir : « Et maintenant je prends le chemin du Paradis ». Il n'était ni un savant, ni un lettré, ni un scolastique, mais simplement un artisan cordonnier. Il appartenait à la classe des sages sortis du peuple.
La doctrine boehmiste de l'Ungrund ne se distingue pas par une netteté propre à tout concept. Mais on ne peut pas non plus l'exiger de lui, car un tel concept de l'Ungrund n'est guère possible, c'est un domaine qui dépasse les bornes des conceptions rationnelles. Personnellement, j'ai toujours pensé que la théodicée, élaborée par les systèmes dominants de la théologie rationnelle, transforme les relations entre Dieu et le monde en une comédie, en un jeu de Dieu avec lui-même et qu'elle reflète l'antique esclavage de l'homme, son abattement et sa peur.
Boehme veut comprendre le mystère de la création de l'univers comme une tragédie non seulement humaine mais aussi divine. Ce qui sauve la théologie rationnelle cataphatique, c'est uniquement le fait qu'à un certain moment elle se transforme en théologie apophatique et affirme que nous nous trouvons devant un mystère aussi inconcevable qu'inexprimable devant lequel nous devons nous incliner.
L'Ungrund est donc le Néant, l'œil insondable de l'éternité et en même temps une volonté, une volonté sans fond, abyssale, indéterminée. Mais c'est un Néant qui est « la faim du Quelque Chose ». La liberté réside dans les ténèbres et a soif de lumière. Et la liberté est la cause de la lumière.
De toutes les doctrines parues sur la Sophia, la plus remarquable et vraiment la première dans l'histoire de la pensée chrétienne est celle de Boehme : ce fut une intuition parfaitement originale. Si, par l'Ungrund, Boehme voit les ténèbres au fondement de l'être, par la Sophia il voit la lumière.
Sa conception de la Sophia a ses aspects théologique et cosmologique ; mais elle est surtout anthropologique. Pour lui, la Sophia est, suivant une image de l'homme, pure, vierge, chaste et essentiellement intégrale ; elle est précisément la pureté et la virginité, l'intégrité et la chasteté de l'homme, elle est l'image et la ressemblance de Dieu en l'homme.
On ne peut séparer cette doctrine sur la Sophia de celle qu'il a donnée sur l'Androgyne, c'est-à-dire sur l'intégrité initiale de l'homme. La sophianité est proprement l'androgynie. L'homme est une nature androgyne, bisexuée, à la fois masculine et féminine. La chute de l'homme est la perte de la Vierge-Sophia, qui s'envole aux cieux, tandis que, sur la terre, apparaît Ève, la féminité.