Le survol le plus rapide des évolutions dans le monde de la création intellectuelle juive révèlera une attention considérable pour le Talmud, le Midrash et la poésie liturgique, ainsi qu'un intérêt débordant pour la Bible, la Kabbale et la Halakha. Le terme de renouveau juif, qui occupe depuis quelques décennies une place croissante dans la réalité israélienne, recouvre le renouvellement de ces différents domaines par un dialogue fécond avec la culture universelle. Mais l'examen attentif de ce renouveau montrera que la réflexion ontologique et métaphysique en est pratiquement absente. C'est ce que soulignait Yeshayahou Leibowitz lorsqu'il faisait remarquer à quel point l'expression assemblée des unificateurs, si courante au Moyen Âge pour désigner la communauté fidèle aux commandements, avait été marginalisée.
Ce rétrécissement de la foi en l'unicité divine est sans doute en phase avec les tendances de la pensée occidentale. On peut l'attribuer à la philosophie d'Emmanuel Kant qui a déplacé la réflexion philosophique de la spéculation métaphysique vers l'éthique. Les circonstances historiques ont également joué leur rôle. Le traumatisme de la Shoah a occulté Dieu et le renouveau de la souveraineté juive exigeait l'action plutôt que la contemplation des fondements de la foi.
Cet ouvrage est une contribution au renouveau de l'intérêt pour la dimension ontologique de la croyance juive en l'unicité divine. L'hypothèse qui le sous-tend est qu'il est erroné de nier les dimensions métaphysiques de la position du croyant face à son Dieu. [...] C'est la réduction de la place de Dieu dans la vie des croyants qui laisse le champ libre aux prêches fanatiques alors que la croyance en l'unicité divine commune aux religions monothéistes devrait enrichir la rencontre des traditions, en Israël et dans toute la région, au-delà du discours nationaliste étroit.
Avant de prendre congé de son lecteur, à la fin d'un épais volume d'éclaircissements et de discussions ramifiées sur les questions fondamentales de la foi juive, Maïmonide donne l'instruction suivante à celui qui souhaiterait entamer son itinéraire spirituel :
« Maintenant, je vais t'indiquer la manière de t'exercer pour arriver à ce but important : la première chose à laquelle il faille t'attacher, c'est de tenir ton esprit libre de toute autre chose au moment où tu te consacres à la lecture du Shema et à la prière, et que tu ne te contentes pas de réciter avec attention le premier verset du Schéma et la première bénédiction de la prière. »
Pour Maïmonide, il existe un lien conceptuel nécessaire entre proclamer l'unicité de Dieu, L'aimer et L'étudier. L'expression « L'étudier » [תלמודו] indique une extension du concept d'étude pour y inclure la réflexion métaphysique.
L'orientation maïmonidienne inspire cet ouvrage de trois façons : l'accent mis sur le verset du Shema ; la focalisation sur les versets de la Torah et les bénédictions ; et surtout l'importance de la dimension spéculative dans la vie du croyant. Il faut cependant souligner un problème épineux lié à cette orientation. Maïmonide définit le Pardes comme l'étude de l'Œuvre du commencement et l'Œuvre du char, qu'il assimile aux sciences développées dans le langage de la philosophie grecque.
Dans ses instructions spirituelles du Guide des Égarés, Maïmonide n'a pas même tenté de répondre aux objections soulevées par sa doctrine. On peut cependant s'appuyer sur ces propos pour proposer un correctif à sa position dans le Mishne Torah. En d'autres termes, si nous parvenions à substituer à la métaphysique d'Aristote une étude fidèle des sources, mais dans l'esprit de la pratique spirituelle du Guide, il serait possible de réhabiliter l'étude de l'unicité divine et de lui rendre une place d'honneur dans la vie des croyants.